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samedi 7 décembre 2013

Un petit matin de Noël

Loin d'ici, tout au bout du « Chemin des Dames », ma mémoire fait l'immense
saut pour attérir dans le « Bény Bocage » de mon enfance, où un château
dressé au milieu d'arbres centenaires, faisait naître en moi le vertige de
l'escalade.
Le vent qui gémit, quand il ne hurle pas à l'époque des grands froids, en faisant
grincer les volets d'acier, rappelle aux vivants combien cette terre meurtrie
laisse encore d'anciennes blessures, d'anciennes douleurs, s'échapper de son
ventre alourdi.
Mais ce matin là, tout était blanc et étrangement silencieux. Ma longue chemise
de nuit en coton tombait sur mes pieds nus, qui dansaient avec impatience sur
le carrelage un peu froid, près du beau sapin de Noël, dont les aiguilles encore
légèrement humides, mêlaient leur parfum à celui des oranges suspendues à ses
branches ; ses branches tendues vers le plafond comme mes bras vers l'aube
prometteur, le corps transi dans l'attente de l'apothéose.
Et puis, je ne me souviens plus très bien, des portes s'ouvrent, des cris
montent et je suis projetée dehors sur le palier recouvert d'une fine couche
de neige. Soudain, j'assiste au spectacle le plus incroyable, le plus merveilleux,
que je n'aurais jamais osé rêver. Un âne superbe se dressait devant moi, juste
assez gris pour qu'on ne puisse pas le confondre au manteau neigeux. Alors
d'un saut, je quittais le sol gelé pour ne faire qu'un corps à corps avec cette
créature extraordinaire. Même les flocons avaient suspendu leur vol et je
glissais vers le plus pur des bonheurs, tombé du ciel un petit matin de Noël.
Je me tournais alors vers l'horizon, me promettant qu'un jour, j'irai loin, bien
plus loin que le bout du monde. Je restais là, à califourchon sur Carichou,
fascinée par le point minuscule, d'un horizon tout blanc et tout nu.
Que soit bénit le jour de mon retour en conquérante dans le bocage de mon
enfance.
                                                            Nathalie.

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