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vendredi 5 février 2016

Dis moi dix mots par Amada



Vous êtes journaliste à l’Indépendant ? ,  c’est un bon métier, je pense que pour la journée internationale de la francophonie vous devez avoir pas mal de choses à raconter. Je vous dis ça parce que moi que je travaille dans un camping de notre belle région où il fait toujours bon  vivre ; je côtoie ces francophones et franchement quelque fois me font tourner la tête en bourrique, je pourrais écrire un libre plein des anecdotes.

La première m’est arrivée quand un client à l’air chafouin m’a demandé s’il y avait un dépanneur dans le coin ; moi toujours prêt à rendre service je lui ai répondu que oui et je lui ai donné l’adresse, sa tête a changé et tout content m’a dit – parfait, j’irais ce soir à dix heures ; je n’ai rien compris car le dépanneur de voitures ferme à six heures mais on m’a toujours dit que le client a toujours raison. Le lendemain il m’apostrophai tout énervé – je me suis fait engueuler car quand j’ai sonné à dix heures il dormait déjà et en plus il n’avait rien à vendre….-
Un client belge très sympa cet automne au cours d’une conversation me dit – j’ai vu une lumerotte à l’orée du bois-, et moi pour lui rendre service je lui réponds – chez nous on dit pleurote- tout étonné s’exclame– d’accord, je vais vider une citrouille et mettre un pleurote dedans pour illuminer ma caravane.
J’ai eu aussi une petite dame de Genève toute pomponnée qui m’arrête dans une allée et me demande – Qu’est-ce que vous donnez à vos plantes, elles sont toutes vigousses- je l’ai regardé d’un air ahuri car mes plantes sont tout à fait normales. Elle me dit prenez un ristrette, ça va vous réveiller, je vous le paye ; sans grande conviction et  en me référant à mes notions d’italien je me sers un café, à ce moment elle me fait un sourire d’oreille à oreille et me dit – vous voyez quand vous voulez ?, bon je pars avant qu’il ne drache-, et là j’ai dû de consulter le dico pour savoir ce qu’elle voulait dire. Vous non plus vous ne connaissez pas ce mot ? Eh ben dracher ça veut dire pleuvoir, comme quoi…
L’année dernière un monsieur, le jour de l’inscription me dit – Je suis un Champagné dans mon pays- et moi comme il marchait un peu de travers j’ai rajouté – et ici aussi monsieur….- vous trouvez normal qu’il soit tout content que je le traite de pompette ?
Un canadien me disait une fois que le vent fait voler la poudrerie chez lui, ces caribous toujours si exagérés avec leur climat ; chez nous on a la tramuntana et jamais elle a soulevé une poudrerie et encore heureusement parce que c’est un tout petit peu dangereux à cause des explosions dirons-nous.
J’ai laissé la plus savoureuse pour la fin ; un jour une jeune haïtienne aux longs cheveux couleur de jade me dit – je veux que tu me prennes avec ton tap-tap et tu m’amènes loin –
Moi j’étais tout émoustillé mais cette situation cocasse c’est fini en faisant un tour avec mon minibus selon le désir de la jolie demoiselle, tant pis….
Entre tous je vais devenir fada. Je vois que je vous ai fait bien rigoler, tant mieux.  Vous me tiendrez au courant pour un éventuel article dans votre journal ? Vous savez où me trouver, Bonne journée.

Vivre juste à côté de l’Espagne



Vivre juste à côté de l’Espagne, c’est accepter que des mots qui ont jadis résonné sur  notre  territoire,  sur notre sol,  puissent des siècles plus tard avoir conservé un souffle de vie.

Avoir sanctionné mes aïeux parce qu’ils s’exprimaient en catalan, la langue de  Pablo Casals, celle de Picasso ou de Dali. Leur avoir ligoté une main derrière le dos pour qu’ils cessent d’utiliser un vocabulaire appris dès la naissance.  C’était pour eux une sanction inique. Il fallait à tout prix écrire et parler en bon français au risque d’être montrés du doigt et humiliés. Ce catalan qu’ils parlaient comme on respire, cette langue vernaculaire qu’ils utilisaient comme on se sert d’un viatique pour exister, pour communiquer, pour aimer, il a bien fallu s’en débarrasser , renier ses origines! …
Longtemps mon grand-père et ma grand-mère ont du batailler pour que le français de Victor Hugo, de La Fontaine puisse un jour couler dans leur bouche sans chercher leur traduction… 
J’ai été nourrie aux deux langues. Assise à table face à mes parents et à mes grands-parents, c’est à la fois le français et le catalan qui ont  consolidé mes racines.
Et puis j’ai grandi, j’ai vu, je n’ai rien vaincu.
J’ai voyagé, j’ai côtoyé d’autres Français et surtout des étrangers qui m’ont à leur tour nourrie de leur culture. Le petit-fils des voisins, celui qui venait en vacances et qui nous parlait de Marseille, de la sardine qui avait bouché le port et que l’on croyait aveuglément. Certes, il était un peu fada, mais nous ne savions pas alors que les Marseillais peuvent parfois en rajouter…
 C’est mon amie Jeannette  qui m’a fait découvrir l’Asie, le Vietnam où sa maman était née. C’est là que son père avait rencontré cette belle indochinoise aux kimonos de soie. Photographiés  tous deux sur sur un “pousse-pousse”  à Hanoï, je découvrais alors les moyens de locomotion tractés par des hommes… “Pousse-Pousse”,  ” tap tap “ tous ces noms issus d’une  onomatopée me renvoient à  d’autres “toucs toucs” qui dévalent parmi les rues encombrées de Thaïlande. J’ai parcouru quelques unes de ces rues, à Bangkok. Je me suis même laissé aller à grimper sur la banquette  d’une de ces carrioles alors qu’une personne émaciée, à la peau brillante, aux yeux bridés et au langage inconnu, courait vers l’avant. Je n’ai pas renouvelé l’expérience!  Faire courir quelqu’un même si c’est pour découvrir sa ville. Très peu pour moi! J’en avais honte, presque des remords…
C’est en Asie, mais aussi en Afrique que j’ai vu tous ces petits commerces dans lesquels on trouve même ce que l’on ne cherche pas! On parle de dépanneur au Canada. Eh bien les dépanneurs sont des millions sur terre. Entrer chez eux, c’est découvrir la culture, la richesse d’un pays. C’est sentir, humer les odeurs, les essences, les parfums les plus exotiques, inconnus à nos narines asptisées, éduquées à l’européenne. Que de senteurs ainsi découvertes , à travers la lumerotte d’un Rideau de perles, ou celui non moins artistique d’un tapis tissé par des mains peintes au  henné et par des doigts ornés de bagues d’or ou d’argent.  C’est au Maroc que j’ai acheté mon tapis bleu de Fes. Le vendeur au regard chafouin a même trouvé que mon époux ressemblait à l’acteur Anthony de Quinn . La particule ajoutée venait elle se greffer à la stratégie mercantile du marchand  de tapis? Je ne saurais  l’affirmer…
 Lors de me pérégrinations je m’aperçois que je n’ai jamais privilégié les pays près du cercle polaire. Je m’en suis approchée du côté d’Oslo mais nous étions en été et le jour qui se prolonge donnant au ciel des nuances bleutées suffisait à mon Bonheur. La neige je l’ai plutôt survolée, quand dominant la grande plaine blanche de Terre Neuve j’ai admiré ces grandes étendues qui invitent aussi à la rêverie .  J’aurais bien aimé me laissé choir dans ce décor ouateux, cette poudrerie immaculée et silencieuse! On peut bien se laisser emporter par son imagination: vu du ciel tout est encore plus beau!
Je revenais du Mexique. Arrivée prévue à l’aéroport de Francfort. Cette énorme plate forme touristique, donc cosmopolite était ce jour-là tapissée de blanc. La neige qui tombait à gros flocons recouvrait d’une fourrure blanche pistes et maisons, parcs et  jardins.  Tout étonnée de me voir prisonnière des éléments je n’ai pas réagi lorsque la pluie a succédé à la neige, transformant ce paysage de carte postale en un décor sale, laid et pitoyable. Il drache ai-je entendu. Drache? Au milieu de la foule j’ai entendu ce cri, j’ai eu l’impression d’être à la Tour de Babel. Certes je comprenais ce qu’il signifiait,  mais ce mot m’était totalement inconnu!
En voyage ou chez moi, je  ne me suis jamais prise pour une personne d’influence. Une champagné dit-on au Congo. Voilà encore un pays que je ne connais pas. Cependant j’ai parfois usé de mon influence pour corriger certains de mes élèves qui croyant s’exprimer correctement, , utilisaient le verbe “espanter”. Ils voulaient traduire leur peur, Je suis “espanté”. Lorsque gentiment je leur assurais que ce mot n’était pas dans le dictionnaire, ils en étaient les premiers étonnés. D’ailleurs ce ne sont pas que les élèves! Dans la rue, chez nous, dans ce département des Pyrénées-Orientales combien de personnes croivvvvent* ( oui j’ai bien écrit croivvvent) que le mot est avéré… Ce sont encore les emprunts à notre voisine la Catalogne !…  En fait la vie, l’histoire, la culture et donc le vocabulaire sont tout simplement des liens tenaces.  Les mots ne s’envolent pas comme  les feuilles au vent. Ils  n’éclatent  pas en l’air comme des bulles de savon.  Ils subsistent longtemps, longtemps Même si on leur interdit de passer les frontières, les mots savent émigrer. Durer, persister. Comme un bagage qui accompagne l’exilé, comme une peau qui colle au corps, comme un bijou de famille que l’on transmet de génération en génération  les mots ont ce pouvoir de survivre aux drames. Ils ont la puissance, la force, la vigousse  dirait-on près du lac Léman.  Ah tous ces mots comme ils m’enchantent! Comme il est agréable de comparer nos mots, de savourer leur équivalences, de s’émerveiller de la richesse qu’ils véhiculent, porteurs d’un message universel: l’Humanité.

J’ai été ravie d’évoquer mes souvenirs de voyage, de culture et d’accorder ainsi à la langue, aux mots ce petit moment de détente . J’ai juste pris le temps de boire une café très serré, celui que me confectionne ma machine à café italienne, mondialement reputée pour ses ristretto, et que je savoure en relisant mon texte.

·         Beaucoup de personnes dans les Pyrénées-Orientales emploient le verbe croire à la 3ème personne du pluriel en ajoutant le”v” entre les voyelles “I”et “e”.


Jackie Ferrer-Saleilles

Les dix mots par Amédine



Toute ressemblance avec des lieux ou des personnages existants n’est pas pure coïncidence ; bien au contraire tout existe dans la réalité.
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Ce n’était pas encore le temps de la poudrerie, à Aristot. J’avais remarqué ce petit village , bien avant tout cela, un jour, depuis l’autre côté de la vallée, en grimpant vers d’austères et éblouissantes montagnes. Je m’étais promis…Ce nid d’aigle m’intriguait. Oui, un vrai nid d’aigle, accroché sur des pentes abruptes, un miracle d’équilibre.

C’est dire si la route grimpait et virevoltait, de lacets en lacets , fort étroite. Au temps de la poudrerie, je ne me fusse point aventurée sur ce trajet. Toutefois il avait bien draché quelques jours auparavant. Les bas côtés de la route en portaient encore les stigmates. Que voulez-vous, ce n’était pas un lieu ordinaire que ce village perdu, accroché par ses griffes de pierre aux flancs de la sierra.
Un peu plus tard, ancrée sur ce perchoir de rocs, je décidai, dans la noire nuit automnale de parcourir ce village étrange où même un tap tap ne se fut point hasardé.
Les quelques lumerottes blafardes me guidaient dans des ruelles qui n’en étaient pas, juste sentiers d’herbe et de rocs  où veillaient de nombreux chats à la mine chafouine.
Il eut été vain que je cherchasse en ce lieu un quelconque dépanneur qui m’eut servi quoi que ce fût ; pas le moindre espoir de ristrette et ce fut d’ailleurs préférable pour profiter de la plénitude du sommeil en ces lieux.
La soirée était bien avancée et je débouchai sur la rue principale, guère mieux éclairée par d’éparses lumerottes, lorsque je le vis. Je fus surprise par cette silhouette immobile, appuyée sur sa canne. Il m’interpella brusquement , dans cette langue étrangère un peu rauque que heureusement, je comprends et je parle. Il crut, m’avoua t’il, que c’était sa sœur qui arrivait par le sentier. Il l’attendait, elle venait de là bas, au loin, dans la nuit étoilée de cette fin d’automne glacée. Alors nous engageâmes la conversation. C’était un très vieil homme qui attendait sa vieille sœur, comme ils durent s’attendre souvent dans leur enfance. Pourtant ce ne fut pas son enfance qu’il évoqua, toujours appuyé sur sa canne, la mine chafouine , le regard tourné en dedans, vers ses souvenirs. Du temps où le berger vigousse qu’il était courait la nuit dans les montagnes pour assister une vache qui devait vêler.  On eut pu le croire un peu fada, s’il n’avait évoqué avec passion son métier d’autrefois.
« ah, me dit il dans sa langue, c’est sûr que j’étais un peu fada… »
Et ses yeux luisants riaient dans l’obscurité. « Mais tu sais, conclut-il, tandis qu’une noire silhouette se profilait au bout de la rue, j’étais un homme simple…pas comme ce champanié de Manuel, ajouta t’il, en désignant du bout de sa canne une maison imposante, altière, un brin ostentatoire.
Je n’en appris pas davantage. Il se levait déjà pour aller au -devant de sa sœur et je repris mon chemin par les sentiers escarpés , mi escaliers, mi venelles où veillait toujours la dizaine de chats à la mine chafouine sous la lueur blafarde des lumerottes

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Oui un bien étrange voyage hors du temps et hors du monde en ce village au nom évocateur, Aristot. Là bas en catalogne, aux confins de la Cerdagne.