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vendredi 5 février 2016

Vivre juste à côté de l’Espagne



Vivre juste à côté de l’Espagne, c’est accepter que des mots qui ont jadis résonné sur  notre  territoire,  sur notre sol,  puissent des siècles plus tard avoir conservé un souffle de vie.

Avoir sanctionné mes aïeux parce qu’ils s’exprimaient en catalan, la langue de  Pablo Casals, celle de Picasso ou de Dali. Leur avoir ligoté une main derrière le dos pour qu’ils cessent d’utiliser un vocabulaire appris dès la naissance.  C’était pour eux une sanction inique. Il fallait à tout prix écrire et parler en bon français au risque d’être montrés du doigt et humiliés. Ce catalan qu’ils parlaient comme on respire, cette langue vernaculaire qu’ils utilisaient comme on se sert d’un viatique pour exister, pour communiquer, pour aimer, il a bien fallu s’en débarrasser , renier ses origines! …
Longtemps mon grand-père et ma grand-mère ont du batailler pour que le français de Victor Hugo, de La Fontaine puisse un jour couler dans leur bouche sans chercher leur traduction… 
J’ai été nourrie aux deux langues. Assise à table face à mes parents et à mes grands-parents, c’est à la fois le français et le catalan qui ont  consolidé mes racines.
Et puis j’ai grandi, j’ai vu, je n’ai rien vaincu.
J’ai voyagé, j’ai côtoyé d’autres Français et surtout des étrangers qui m’ont à leur tour nourrie de leur culture. Le petit-fils des voisins, celui qui venait en vacances et qui nous parlait de Marseille, de la sardine qui avait bouché le port et que l’on croyait aveuglément. Certes, il était un peu fada, mais nous ne savions pas alors que les Marseillais peuvent parfois en rajouter…
 C’est mon amie Jeannette  qui m’a fait découvrir l’Asie, le Vietnam où sa maman était née. C’est là que son père avait rencontré cette belle indochinoise aux kimonos de soie. Photographiés  tous deux sur sur un “pousse-pousse”  à Hanoï, je découvrais alors les moyens de locomotion tractés par des hommes… “Pousse-Pousse”,  ” tap tap “ tous ces noms issus d’une  onomatopée me renvoient à  d’autres “toucs toucs” qui dévalent parmi les rues encombrées de Thaïlande. J’ai parcouru quelques unes de ces rues, à Bangkok. Je me suis même laissé aller à grimper sur la banquette  d’une de ces carrioles alors qu’une personne émaciée, à la peau brillante, aux yeux bridés et au langage inconnu, courait vers l’avant. Je n’ai pas renouvelé l’expérience!  Faire courir quelqu’un même si c’est pour découvrir sa ville. Très peu pour moi! J’en avais honte, presque des remords…
C’est en Asie, mais aussi en Afrique que j’ai vu tous ces petits commerces dans lesquels on trouve même ce que l’on ne cherche pas! On parle de dépanneur au Canada. Eh bien les dépanneurs sont des millions sur terre. Entrer chez eux, c’est découvrir la culture, la richesse d’un pays. C’est sentir, humer les odeurs, les essences, les parfums les plus exotiques, inconnus à nos narines asptisées, éduquées à l’européenne. Que de senteurs ainsi découvertes , à travers la lumerotte d’un Rideau de perles, ou celui non moins artistique d’un tapis tissé par des mains peintes au  henné et par des doigts ornés de bagues d’or ou d’argent.  C’est au Maroc que j’ai acheté mon tapis bleu de Fes. Le vendeur au regard chafouin a même trouvé que mon époux ressemblait à l’acteur Anthony de Quinn . La particule ajoutée venait elle se greffer à la stratégie mercantile du marchand  de tapis? Je ne saurais  l’affirmer…
 Lors de me pérégrinations je m’aperçois que je n’ai jamais privilégié les pays près du cercle polaire. Je m’en suis approchée du côté d’Oslo mais nous étions en été et le jour qui se prolonge donnant au ciel des nuances bleutées suffisait à mon Bonheur. La neige je l’ai plutôt survolée, quand dominant la grande plaine blanche de Terre Neuve j’ai admiré ces grandes étendues qui invitent aussi à la rêverie .  J’aurais bien aimé me laissé choir dans ce décor ouateux, cette poudrerie immaculée et silencieuse! On peut bien se laisser emporter par son imagination: vu du ciel tout est encore plus beau!
Je revenais du Mexique. Arrivée prévue à l’aéroport de Francfort. Cette énorme plate forme touristique, donc cosmopolite était ce jour-là tapissée de blanc. La neige qui tombait à gros flocons recouvrait d’une fourrure blanche pistes et maisons, parcs et  jardins.  Tout étonnée de me voir prisonnière des éléments je n’ai pas réagi lorsque la pluie a succédé à la neige, transformant ce paysage de carte postale en un décor sale, laid et pitoyable. Il drache ai-je entendu. Drache? Au milieu de la foule j’ai entendu ce cri, j’ai eu l’impression d’être à la Tour de Babel. Certes je comprenais ce qu’il signifiait,  mais ce mot m’était totalement inconnu!
En voyage ou chez moi, je  ne me suis jamais prise pour une personne d’influence. Une champagné dit-on au Congo. Voilà encore un pays que je ne connais pas. Cependant j’ai parfois usé de mon influence pour corriger certains de mes élèves qui croyant s’exprimer correctement, , utilisaient le verbe “espanter”. Ils voulaient traduire leur peur, Je suis “espanté”. Lorsque gentiment je leur assurais que ce mot n’était pas dans le dictionnaire, ils en étaient les premiers étonnés. D’ailleurs ce ne sont pas que les élèves! Dans la rue, chez nous, dans ce département des Pyrénées-Orientales combien de personnes croivvvvent* ( oui j’ai bien écrit croivvvent) que le mot est avéré… Ce sont encore les emprunts à notre voisine la Catalogne !…  En fait la vie, l’histoire, la culture et donc le vocabulaire sont tout simplement des liens tenaces.  Les mots ne s’envolent pas comme  les feuilles au vent. Ils  n’éclatent  pas en l’air comme des bulles de savon.  Ils subsistent longtemps, longtemps Même si on leur interdit de passer les frontières, les mots savent émigrer. Durer, persister. Comme un bagage qui accompagne l’exilé, comme une peau qui colle au corps, comme un bijou de famille que l’on transmet de génération en génération  les mots ont ce pouvoir de survivre aux drames. Ils ont la puissance, la force, la vigousse  dirait-on près du lac Léman.  Ah tous ces mots comme ils m’enchantent! Comme il est agréable de comparer nos mots, de savourer leur équivalences, de s’émerveiller de la richesse qu’ils véhiculent, porteurs d’un message universel: l’Humanité.

J’ai été ravie d’évoquer mes souvenirs de voyage, de culture et d’accorder ainsi à la langue, aux mots ce petit moment de détente . J’ai juste pris le temps de boire une café très serré, celui que me confectionne ma machine à café italienne, mondialement reputée pour ses ristretto, et que je savoure en relisant mon texte.

·         Beaucoup de personnes dans les Pyrénées-Orientales emploient le verbe croire à la 3ème personne du pluriel en ajoutant le”v” entre les voyelles “I”et “e”.


Jackie Ferrer-Saleilles

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