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mercredi 6 janvier 2016

Les armoires de famille par Amédine

Les armoires de famille : s’il est bien un thème qui ne m’inspire pas, c’est celui-ci. Je sais ce n’est pas le premier ! Il ne me vient à l’idée que le titre d’ Annie Ernaux, son premier roman, « Les armoires vides ». Et en plus elles sont vides…
J’ai beau tourmenter mon cerveau, pas un souvenir d’armoires ne me revient, et ce, depuis qu’on a fixé ce thème. Alors j’ai imaginé inventer une armoire, avec des souvenirs d’autres armoires issues d’ailleurs que dans ma famille. J’ouvrirais les portes de merisier ou de noyer massifs et un monde de draps empesés, bien rangés, blancs ou écrus, tissés de ce fil ou de ce lin qui les rendaient pesants et imposants m’enverrait son parfum au visage. Des draps ornés de jours et de broderies patiemment et artistiquements construits point par point par une demoiselle du temps jadis. Je pourrais loger entre ces draps des sachets de lavande décolorée. Les étagères seraient ornées de dentelles courant sur leur longueur et les tiroirs regorgeraient de bijoux, vieilles montres, petits carnets, petites boites et photos. Même entre les piles de draps pourraient dormir des billets de banque, soigneusement et illusoirement cachés.
Bien sûr ces imposantes armoires cacheraient comme au temps d’antan sous leur ventre une paire de valises, dont la mortuaire, et sur leur toit, à près de trois mètres de haut, derrière la lourde corniche, le fusil familial.

Mais je n’ai pas envie d’inventer.
Je pourrais décrire les armoires Louis XV de ma belle-famille, aux pattes torses et coquilles sculptées que je n’aimais pas ; mais elles ne sont pas mon passé.
Je pourrais aussi parler de ces armoires d’aujourd’hui sur lesquelles on se penche à quatre pattes, devant une armée de planches découpées et percées, une notice dans une main et un tournevis cruciforme dans l’autre, sachant d’avance qu’au bout du compte quelques écrous et pointes iront rejoindre la boite « petite quincaillerie » dans mes étagères de bricoleuse. Armoires vides d’âme qui ne seront pas miennes.
Pourtant me reviennent sans cesse ces vastes placards remplaçant les armoires, qui habillaient de grandes portes sombres un pan de mur entier, portes sur lesquelles à la faveur des nervures du bois et de leur absorption de la couleur et du vernis je lisais des histoires de paysages grandioses, de forêts, de routes , de montagnes quand ce n’était pas un bestiaire qui apparaissait figé pour l’éternité. Mais on ne me demande pas de parler de placards ; mes armoires seraient elles rangées au placard ?
Curieusement, c’est au moment où je n’y pense pas, au volant de ma voiture que je ressens un souvenir ; il s’insinue dans ma main droite et j’éprouve le toucher, le ressenti , la vue et même le bruit d’une petite clé qui tourne dans une serrure bancale. Stupéfaite, je vois se dessiner autour de cette clé un tiroir que j’ouvre mais dont je ne vois pas le contenu ; par contre je saisis le toucher, le bruit et la teinte de ce tiroir. Je ne perds pas de vue la route mais une étagère le surmonte, où sont alignés par couleur des livres de la bibliothèque rose, puis verte et enfin rouge et or. Mais c’est…bien sûr !...mon armoire d’adolescente, dans ma petite chambre sous les toits, au plafond bas donc une armoire proportionnée à cette pièce et à ma taille. Il y a des vêtements pliés sur les étagères , des couvertures sans doute aussi. Et me reviennent ces deux portes noires, sombres et légères à la fois car cette armoire sans la moindre valeur était de bois léger, qui fut blanc et devint couleur paille, de peuplier peut être ? Qu’est devenue cette armoire ? Elle a fini de beaux jours sans doute dans un hangar agricole comme il était souvent de mise. Mais je sais maintenant ce que contenait le tiroir fermé à clef : mon journal intime, une liasse de feuilles d’écolier couvertes d’une fine écriture penchée à l’encre violette ou verte, ce journal que je brûlai un jour de janvier 2006. Sans le relire jamais. Hélas.

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