Les armoires de famille : s’il
est bien un thème qui ne m’inspire pas, c’est celui-ci. Je sais
ce n’est pas le premier ! Il ne me vient à l’idée que le
titre d’ Annie Ernaux, son premier roman, « Les armoires
vides ». Et en plus elles sont vides…
J’ai beau tourmenter mon cerveau, pas
un souvenir d’armoires ne me revient, et ce, depuis qu’on a fixé
ce thème. Alors j’ai imaginé inventer une armoire, avec des
souvenirs d’autres armoires issues d’ailleurs que dans ma
famille. J’ouvrirais les portes de merisier ou de noyer massifs et
un monde de draps empesés, bien rangés, blancs ou écrus, tissés
de ce fil ou de ce lin qui les rendaient pesants et imposants
m’enverrait son parfum au visage. Des draps ornés de jours et de
broderies patiemment et artistiquements construits point par point
par une demoiselle du temps jadis. Je pourrais loger entre ces draps
des sachets de lavande décolorée. Les étagères seraient ornées
de dentelles courant sur leur longueur et les tiroirs regorgeraient
de bijoux, vieilles montres, petits carnets, petites boites et
photos. Même entre les piles de draps pourraient dormir des billets
de banque, soigneusement et illusoirement cachés.
Bien sûr ces imposantes armoires
cacheraient comme au temps d’antan sous leur ventre une paire de
valises, dont la mortuaire, et sur leur toit, à près de trois
mètres de haut, derrière la lourde corniche, le fusil familial.
Mais je n’ai pas envie d’inventer.
Je pourrais décrire les armoires Louis
XV de ma belle-famille, aux pattes torses et coquilles sculptées que
je n’aimais pas ; mais elles ne sont pas mon passé.
Je pourrais aussi parler de ces
armoires d’aujourd’hui sur lesquelles on se penche à quatre
pattes, devant une armée de planches découpées et percées, une
notice dans une main et un tournevis cruciforme dans l’autre,
sachant d’avance qu’au bout du compte quelques écrous et pointes
iront rejoindre la boite « petite quincaillerie » dans
mes étagères de bricoleuse. Armoires vides d’âme qui ne seront
pas miennes.
Pourtant me reviennent sans cesse ces
vastes placards remplaçant les armoires, qui habillaient de grandes
portes sombres un pan de mur entier, portes sur lesquelles à la
faveur des nervures du bois et de leur absorption de la couleur et du
vernis je lisais des histoires de paysages grandioses, de forêts, de
routes , de montagnes quand ce n’était pas un bestiaire qui
apparaissait figé pour l’éternité. Mais on ne me demande pas de
parler de placards ; mes armoires seraient elles rangées au
placard ?
Curieusement,
c’est au moment où je n’y pense pas, au volant de ma voiture que
je ressens un souvenir ; il s’insinue dans ma main droite et
j’éprouve le toucher, le ressenti , la vue et même le bruit d’une
petite clé qui tourne dans une serrure bancale. Stupéfaite, je vois
se dessiner autour de cette clé un tiroir que j’ouvre mais dont je
ne vois pas le contenu ; par contre je saisis le toucher, le
bruit et la teinte de ce tiroir. Je ne perds pas de vue la route mais
une étagère le surmonte, où sont alignés par couleur des livres
de la bibliothèque rose, puis verte et enfin rouge et or. Mais
c’est…bien sûr !...mon armoire d’adolescente, dans ma
petite chambre sous les toits, au plafond bas donc une armoire
proportionnée à cette pièce et à ma taille. Il y a des vêtements
pliés sur les étagères , des couvertures sans doute aussi. Et me
reviennent ces deux portes noires, sombres et légères à la fois
car cette armoire sans la moindre valeur était de bois léger, qui
fut blanc et devint couleur paille, de peuplier peut être ?
Qu’est devenue cette armoire ? Elle a fini de beaux jours sans
doute dans un hangar agricole comme il était souvent de mise. Mais
je sais maintenant ce que contenait le tiroir fermé à clef :
mon journal intime, une liasse de feuilles d’écolier couvertes
d’une fine écriture penchée à l’encre violette ou verte, ce
journal que je brûlai un jour de janvier 2006. Sans le relire
jamais. Hélas.
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